Pour se diriger vers Naraya, la capitale, Richard de Cassentel n'avait ordonné à ses côtés qu'un nombre limité d'hommes. À quoi bon, après tout, se faire accompagner d'une armée si on ne planifie conquérir aucune contrée? À quoi bon contraindre les aubergistes à vider leurs caves et chasser les clients de leurs chambres pour accomoder une vingtaine de suivants, alors qu'un écuyer et un maître d'armes suffisent largement? Et en toute honnêteté, à quoi bon étaler une grandeur qu'on ne croît point avoir? C'est donc avec une certaine discrétion que le cortège s'engagea sur les routes, s'éloignant un peu plus du château à chaque instant pour une voyage que, somme toute, Richard de Cassentel redoutait.
Non pas qu'il fut en danger. Ou plutôt, peut-être bien, mais un danger dont il était le seul responsable, le seul créateur, et le seul interprète. Un danger non pas physique, comme on les connait généralement. Mais plutôt, un danger de remise en question dont la finalité du voyage n'était en aucun cas la cause. Voir le Roi? Il l'avait déjà fait à maintes reprises, toujours dans le même ennui profond. À chaque fois, on s'efforçait de faire figure de bon hôte à son endroit, en le traitant tout à la fois avec la compassion qu'on accorde à un homme malade et le dédain destiner à un invalide. En tant qu'homme politique, Richard de Cassentel était un invalide dans un monde d'hypocrites. Lorsqu'il était bien portant, cela le laissait de marbre. En période de crise, il fuyait alors rapidement le château royal où, de toute façon, il ne se rendait que lorsque contraint. Tel était le cas aujourd'hui, alors qu'après des années d'apprentissage son écuyer allait finalement être adoubé chevalier. Après des semaines d'insistance alors qu'ils étaient au large, Richard de Cassentel n'avait pu trouver aucune excuse pour éviter ce voyage dès son retour. Sans l'ombre d'un doute, une fois Chevalier, il s'arrangerait pour se mettre au service d'un noble de meilleure prestance que lui...
Dans les faits, ce que Richard de Cassentel redoutait, c'était le voyage en lui-même. Oublions immédiatement les dangers de la route, chose que trois épés agiles sauraient éloigner, et pensons plutôt au temps. À ces heures de silence, car le Comte de Cassentel était un homme de peu de mots, où il ne pourrait que réfléchir et/ou somnoler. Ces heures où son esprit ne pourrait faire autrement que d'analyser la situation du jeune Gaspard, fort semblable à la sienne plus de vingt ans auparavant, et qui le forcerait donc à revoir un passé merveilleux qu'il préférait tout de même oublier... Saurait-il trouver une distraction? Cette question, en elle-même, l'occupa pendant la première moitié de la première journée...